Contexte
La bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) est une maladie fréquente ayant un impact majeur sur la qualité de vie. Elle est associée à un taux élevé d’hospitalisations et de décès. Les médicaments luttant contre la bronchoconstriction ont montré un effet marginal sur la survie1. Par ailleurs, la prévalence des comorbidités cardiovasculaires est élevée chez les patients atteints de BPCO. L’inflammation systémique de la BPCO pourrait favoriser la survenue d’athérosclérose indépendamment de l’âge ou des autres facteurs de risque cardiovasculaire. De plus, le tabagisme est un facteur de risque commun d’athérosclérose et de BPCO. Les patients atteints de BPCO doivent être considérés comme à risque de développer des maladies cardiovasculaires.
Les β-bloquants ont fait la preuve de leur efficacité chez les patients ayant une insuffisance cardiaque ou une cardiopathie ischémique en réduisant la mortalité de 30 à 40 %2. Cependant, ils sont traditionnellement contre-indiqués chez les patients atteints de BPCO du fait du risque théorique de bronchospasme et d’insuffisance respiratoire aiguë. Malgré tout, plusieurs études bien conduites ont suggéré une bonne tolérance des β-bloquants chez les patients atteints de BPCO, et une diminution de la mortalité3.
Objectif
Évaluer si l’usage au long cours des β-bloquants chez les patients atteints de BPCO, avec ou sans pathologie cardiovasculaire associée, augmente la survie et diminue le nombre d’exacerbations respiratoires
Population étudiée
Patients issus d’une base de données de 60 000 patients provenant de 35 médecins généralistes néerlandais (Utrecht General Practitioners Network database).
Méthode
Étude observationnelle de cohorte. Les critères d’inclusion étaient un âge > à 45 ans, un diagnostic de BPCO fait entre 1995 et 2005 définie par une dyspnée et une toux ou crachats pendant plus de 3 mois par an pendant 2 ans consécutifs, avec si possible une confirmation par épreuve fonctionnelle respiratoire (EFR). Les patients inclus ont été suivis jusqu’à leur décès, leur déménagement, ou la fin de l’étude (décembre 2005). Les événements répertoriés étaient les décès et les exacerbations (prescription de prednisone ou de prednisolone pendant 7 à 10 jours ou hospitalisation pour exacerbation).
Résultats
2 230 patients âgés de plus de 45 ans ont été inclus. L’âge moyen au début de l’étude était de 64,8 ± 11,2 ans. Il y avait 53 % d’hommes. La durée de suivi moyenne a été de 7,2 ± 2,8 ans. 44,9 % des patients avaient une maladie cardiovasculaire, 39,2 % étaient hypertendus et 16,7 % étaient diabétiques de type 2.
686 décès (30,8 %) ont été constatés pendant l’étude : 27,2 % chez les patients qui recevaient des β-bloquants et 32,3 % chez ceux qui n’en recevaient pas (HR = 0,70 ; IC95 = 0,59-0,84 ; p = 0,02). 1 055 patients (47,3 %) ont eu au moins une exacerbation : 42,7 % chez ceux qui recevaient des β-bloquants et 49,3 % chez ceux qui n’en recevaient pas (HR = 0,73 ; IC95 = 0,63-0,83 ; p = 0,005). Après ajustement sur l’âge, le sexe, le tabagisme, les antécédents cardiovasculaires, l’HTA, le diabète, la prescription de médicaments à visée cardiovasculaire, d’autres β-bloquants ou bronchodilatateurs et le suivi par un pneumologue, les différences en termes de mortalité et d’exacerbations entre les deux groupes restaient significatives.
Afin de tester la robustesse de ces résultats, un score de propension a été calculé à partir des nombreux facteurs de confusion expliquant l’usage de β-bloquants (HTA, angor, infarctus du myocarde, pontage coronarien, coronarographie, fibrillation auriculaire, IDM). Après ajustement sur ce score, les différences restaient significatives : HR = 0,64 (IC95 = 0,52-0,77) pour la mortalité, et HR = 0,64 (IC95 = 0,55-0,75) pour les exacerbationsÂ
Résultat principal
Les β-bloquants pourraient avoir un effet bénéfique chez les patients atteints de BPCO en augmentant la survie, et en réduisant le risque d’exacerbation.
Commentaires
Il s’agit d’une étude exploratoire rigoureuse sur plusieurs milliers de patients. Les limites de ce type d’étude observationnelle de cohorte ont bien été prises en compte sur le plan statistique, puisque plusieurs modèles ont été réalisés afin d’évaluer la robustesse des résultats. Le fait que les données manquantes n’avaient pas d’impact sur les résultats a été vérifié. Néanmoins, ce n’était pas un essai randomisé.
Une autre limite importante incite à relativiser les résultats : tous les patients inclus n’ont pas eu d’EFR alors que le diagnostic différentiel le plus fréquent de la BPCO est l’insuffisance cardiaque. Cette limite suggère que l’efficacité des β-bloquants pourrait témoigner de leur effet en cas d’insuffisance cardiaque méconnue chez certains patients. Il aurait été intéressant de préciser le taux de patients ayant eu une EFR et d’évaluer les résultats uniquement chez les patients avec une EFR confirmant la BPCO.
Par ailleurs, le stade d’évolution de la BPCO n’a pas été précisé. Les patients recevant des β-bloquants étaient-ils moins graves sur le plan respiratoire ? Dans ce cas, les résultats obtenus surestiment la réalité. A contrario, il est possible que les patients dont l’état général était plus altéré aient été davantage traités par des β-bloquants et que les résultats aient sous-estimé la réalité.
La place réelle des β-bloquants chez les patients atteints de BPCO devra être précisée par des essais randomisés comparatifs. En attendant, il faut garder à l’esprit que la mortalité par pathologie cardiovasculaire représente 20 à 40 % des décès chez les patients atteints de BPCO, à tous les stades de sévérité de l’obstruction bronchique1,4. Il est important de rechercher ces maladies chez ces patients à risque. Pour les patients chez qui une BPCO est diagnostiquée et qui sont déjà traités par β-bloquants, il est préférable de les continuer (s’ils sont bien tolérés) afin d’éviter un événement cardiovasculaire.
Références
1. Calverley PM, Anderson JA, Celli B, et al. TORCH investigators. Salmeterol and fluticasone propionate and survival in chronic obstructive pulmonary disease. N Engl J Med 2007;356:775-89.
2. Goldstein S. Benefits of β-blocker therapy for heart failure: weighing the evidence. Arch Intern Med 2002;162:641-8.
3. Dransfield MT, Rowe SM, Johnson JE, Bailey WC, Gerald LB. Use of beta blockers and the risk of death in hospitalised patients with acute exacerbations of COPD. Thorax 2008;63:301-5.
4. Société de pneumologie de langue française. Recommandations pour la pratique clinique. Prise en charge de la BPCO. Mise à jour 2009. Rev Mal Respir 2010;27:522-48.
Article de : Rutten FH, Zuithoff NP, Hak E, Grobbee DE, Hoes AW. Arch Intern Med 2010;170:880-7.