Découverte d’un peptide bloquant l’infection des cellules pulmonaires par le SARS-CoV-2


Paris, le 28 août 2020
Une équipe de recherche dirigée par Philippe Karoyan, Professeur Sorbonne
Université au Laboratoire des Biomolécules (LBM, Sorbonne Université / Ecole
normale supérieure – PSL / CNRS) a développé un leurre capable de bloquer, de façon
irréversible, le virus SARS-CoV-2 en l’empêchant d’infecter les cellules
pulmonaires. Cette découverte innovante pourrait constituer une solution
thérapeutique alternative à la vaccination. Les travaux soumis pour publication sont
accessibles en preprint.1 Le projet, soutenu par la direction de la recherche de la
faculté des Sciences et Ingénierie de Sorbonne Université et la SATT-Lutech a fait
l’objet d’une demande de brevet, licencié à la Start-up χ-Pharma.
Les données récentes sur le SARS-CoV-2 démontrent que la phase initiale de l’infection
implique l’interaction de la protéine virale SPIKE avec un récepteur humain nommé ACE2.
Cette interaction ouvre au niveau pulmonaire les portes d’entrée des cellules au virus, à
l’origine de l’infection et de la multiplication du virus.
Afin de prévenir cette interaction, les chercheurs ont entrepris de construire des leurres
peptidiques de la protéine humaine ACE2 en mettant à profit les données des structures RX
du complexe SPIKE/hACE2. Les leurres ont été construits par calcul à l’aide de deux
algorithmes permettant d’optimiser la structure et l’antigénicité. Après synthèse et validation
de leur capacité à mimer la structure de ACE2 interagissant avec SPIKE, ils ont été criblés
pour leur capacité à interagir avec SPIKE et bloquer l’infection virale sur les cellules
pulmonaires humaines. Deux mimes se sont révélés puissants, capables de stopper
l’infection virale. L’interaction entre ces mimes peptidiques et la protéine virale SPIKE est si
forte qu’elle est irréversible, les mimes s’agglutinant à la surface du virus (Figure).




COVID-19 : point sur la thérapeutique

Six mois après le début de la pandémie, et moults débats, controverses – et même guerre des clans – autour des médicaments susceptibles d’être efficaces contre la Covid-19, quelles sont les thérapeutiques utilisées actuellement en ambulatoire et à l’hôpital aux différents stades de la pathologie, ou tout du moins reconnues officiellement ? Dans son avis du 27 juillet, le Conseil scientifique mis en place dans le contexte de la crise COVID-19 fait le point* [1].

Hydroxychloroquine, remdésivir, tocilizumab, oxygénothérapie…Quatre mois après le pic de la pandémie en France, malgré une intense recherche clinique et alors que la pandémie se poursuit dans le monde, « nous n’avons pas de médicament avec une activité virale directe ayant fait la preuve scientifique de son efficacité » considère le Conseil scientifique, un point « particulièrement important dans l’hypothèse d’une deuxième vague pour organiser au mieux la prise en charge des populations ayant une forme sévère et réduire ainsi la durée d’occupation des lits en réanimation et la mortalité globale » ajoute-t-il.

*A noter que les membres du Conseil scientifique ayant des liens d’intérêts avec les industries pharmaceutiques ont été mis en débord.

Quid de la prise en charge des formes bénignes ?

Que propose-t-on aux patients qui souffrent d’une maladie bénigne (plus 95% des patients atteints de COVID-19) et ne justifient pas de soins à l’hôpital ? Aujourd’hui, le standard international repose sur « une prise en charge symptomatique, une information précise sur les signes devant amener à consulter en urgence et un suivi médical afin de détecter des symptômes qui nécessiteraient une hospitalisation ».

Pour certains patients cependant, notamment ceux à haut risque de forme sévère (âge avancé, maladies chroniques sévères comme insuffisance rénale chronique sévère, insuffisance respiratoire chronique, insuffisance cardiaque, etc.), « une hospitalisation se discute au cas par cas pour surveillance rapprochée ».

Selon le Pr Jean-François Delfraissy et ses collègues : en dépit d’essais cliniques testant des traitements visant à éviter l’aggravation, « aucune molécule n’a montré la moindre preuve d’efficacité à ce stade », il s’agit en effet de patients « pour lesquels le bénéfice attendu d’un traitement est faible (évolution spontanément favorable dans > 95% des cas) ».

Quid des formes sévères ?

Les formes sévères (moins de 5% des patients infectés par le virus SARS-CoV-2) bénéficient, elles, d’une prise en charge hospitalière en service conventionnel. Ces patients nécessitent un support en oxygène et parfois un support ventilatoire.

Fait important, comme plusieurs études, notamment françaises, l’ont montré : il semble aujourd’hui important « de retarder au maximum l’utilisation de la ventilation mécanique invasive (intubation) chez ces patients ». En revanche, la surveillance doit être rapprochée afin d’adapter le support en oxygène et ventilatoire aux besoins qui, comme en ont témoigné les hospitaliers, peuvent évoluer très rapidement.

Parmi les éléments qui ont montré scientifiquement une efficacité dans la prise en charge de ces patients, le Conseil scientifique cite :

– L’utilisation de corticoïdes (dexaméthasone), traitement anti-inflammatoire qui permet de diminuer la mortalité chez les patients nécessitant un support en oxygène selon l’essai clinique randomisé contrôlé Recovery , et dont l’intérêt semble faire l’unamité.

– L’utilisation de tocilizumab (traitement anti récepteur de l’interleukine-6) « qui semblerait efficace chez les patients nécessitant plus de 3 litres/minute d’oxygène dans l’essai français CORIMUNO en cours de publication même si ces résultats doivent être confirmés par des études de plus grande taille. La place exacte de ce traitement et son association ou non avec les corticoïdes reste à déterminer » écrit le Conseil scientifique. La molécule avait suscité un emballement médiatique, suite à la publication prématurée des résultats de plusieurs études françaises, et à une publication annoncée comme imminente, mais toujours attendue à ce jour.

– Une anticoagulation par héparine qui permet de diminuer le risque de thrombose et d’embolie (standard de soins pour les maladies inflammatoires sévères similaires). Celle-ci semble admise par tous.

En ce qui concerne le traitement antiviral :

– Remdesivir : « il semble accélérer le temps de récupération mais il n’a à ce jour pas montré d’impact sur mortalité chez les patients traités par rapport aux patients non traités par remdesivir (essai randomisé contrôlé avec 1063 patients). Ce traitement est toujours en évaluation dans des essais cliniques malgré une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) conditionnelle de l’European Medicines Agency (EMA) (essai Solidarity/Discovery) » indique le comité d’experts. Signalons l’existence attestée par plusieurs équipes d’effets indésirables hépatiques et rénaux qui incite à la prudence.

Quid des formes critiques ?

La prise en charge en réanimation des patients présentant des formes critiques de la maladie (environ 15 à 25% des patients COVID-19 hospitalisés) nécessite le recours à une ventilation mécanique invasive (intubation), voire à une oxygénation extra-corporelle dans les formes les plus sévères.

« La gestion du mode de ventilation et des différentes techniques associées est particulièrement importante chez ces patients ».

Parmi les éléments essentiels de la prise en charge de ces patients extrêmement sévères, le Conseil signale :

– L’utilisation des corticoïdes (dexaméthasone) qui avait déjà été encouragée par un essai clinique randomisé dans les pneumopathies très sévères (hors COVID publié en février 2020) montrant une diminution de la durée d’intubation et de la mortalité. Ceci a été confirmé pour les pneumopathies sévères COVID-19 dans l’essai Recovery.

– Une anticoagulation par héparine qui permet de diminuer le risque de thrombose et d’embolie (standard de soins pour les maladies inflammatoires sévères similaires).

– Le traitement antiviral par remdesivir est toujours en évaluation dans cette population dans les essais clinique malgré une AMM conditionnel de l’EMA (essai Solidarity/Discovery) (voir plus haut).

Quels traitements sont actuellement écartés ?

Pour le Conseil scientifique, si « la recherche clinique a permis d’apporter des réponses thérapeutiques à différents stades de la maladie, elle a également permis d’écarter un certain nombre de molécules », dont l’hydroxychloroquine.

Hydroxychloroquine : « Après les observations initiales de cohortes non randomisées suggérant une efficacité de l’hydroxychloroquine, seule ou en association, l’immense majorité des essais randomisés réalisés en France, eu Europe, aux Etats-Unis, au Brésil ou dans l’essai OMS, n’a pas retrouvé cet effet » écrit le Conseil scientifique. En prophylaxie (après exposition à risque au SARS-CoV-2), un essai randomisé contrôlé réalisé au Canada et aux États-Unis chez 821 patients n’a trouvé aucun effet de l’hydroxychloroquine. Par ailleurs, les auteurs ont noté des effets indésirables plus importants chez les patients ayant reçu avec l’hydroxychloroquine que chez ceux recevant un placebo (40% chez les patients recevant ce traitement contre 17% pour les patients recevant le placebo). Notons que cet essai qui n’avait pas manqué d’être critiqué sur le plan méthodologique.

« Un autre essai randomisé contrôlé réalisé à Barcelone semble aller dans le même sens : il n’a trouvé aucun effet de l’hydroxychloroquine en prévention sur un total de plus de 2 300 patients (résultats communiqués par voie de presse, en attente de publication) », écrit le comité d’experts. Chez des patients hospitalisés, avec des formes modérées, un essai randomisé réalisé au Brésil et récemment publié dans le NEJM n’a montré aucun effet de l’hydroxychloroquine ou de l’hydroxychloroquine + azithromycine. Chez des patients hospitalisés, avec des formes sévères ou critiques de la maladie, 3 essais randomisés contrôlés de grande taille ont communiqué des résultats ne montrant aucune efficacité de l’hydroxychloroquine : ce sont les essais DisCoVeRy en France, Solidarity (essai international de l’OMS) et Recovery au Royaume-Uni, ajoute-t-il. Néanmoins, à ce jour, aucun de ces trois essais n’a été publié dans sa totalité.

– Lopinavir/ritonavir : Chez des patients hospitalisés avec une forme sévère ou critique de la maladie, 4 essais randomisés contrôlés n’ont pas retrouvé d’efficacité de l’administration lopinavir/ritonavir : l’essai DisCoVeRy en France qui a arrêté ce bras thérapeutique, l’essai Solidarity de l’OMS, l’essai Recovery du Royaume-Uni et un essai conduit en Chine. L’essai DisCoVeRy en France a par ailleurs permis de montrer un signal de toxicité avec des insuffisances rénales aiguës qui seraient plus fréquentes chez les patients traités par lopinavir/ritonavir que dans le groupe standard de soins.

-Sarilumab : Cette molécule anti-inflammatoire qui bloque l’action des récepteurs de l’interleukine 6 a été évaluée dans un essai clinique industriel (Sanofi/Regeneron) aux États-Unis. Dans un communiqué de presse, les firmes ont annoncé l’arrêt de l’essai du fait de l’absence d’efficacité du médicament retrouvée et d’effets indésirables sévères plus fréquents chez les patients traités par sarilumab.

Le Conseil scientifique apporte deux précisions à ce chapitre sur la thérapeutique.

  1. Il précise « qu’on manque de données sur la tolérance et l’efficacité (ou la non efficacité) des traitements déjà cités, utilisés de façon prophylactique/préventive sur des sujets et population à risque » et que plusieurs essais sont en cours.
  2. En prévision d’une éventuelle seconde vague, il recommande fortement aux équipes de recherche clinique et translationnelle d’anticiper de futurs essais thérapeutiques en mettant en place « le plus tôt possible les protocoles thérapeutiques avec de nouvelles molécules et éventuellement des associations de molécules avec un petit nombre d’essais thérapeutiques stratégiques pour les formes modérées ambulatoires mais aussi sévères et graves » précise le Conseil. « Préparés et discutés en septembre, ils seront opérationnels en novembre », date qui semble prévaloir pour une potentielle reprise intensive de l’épidémie.

Article publié dans actualités medscape par Stéphanie Lavaud ( 6 Août 2020 )

LIENS

Covid-19 et anosmie : le virus infecterait les cellules sustentaculaires mais non les nerfs olfactifs (Interview)

Le « rail olfactif » conduisant au SNC ne serait pas infecté par le SARS-Cov-2. Des chercheurs d’INRAE, en collaboration avec l’Anses, ont démontré, dans le cadre d’un modèle animal, que le virus infecte les cellules sustentaculaires de la muqueuse nasale mais non les nerfs olfactifs. Nicolas Meunier, neurobiologiste, Unité mixte de recherche virologie et immunologie moléculaire INRAE/UVSQ, nous présente les résultats de leurs travaux publiés dans la revue Brain Behaviour and Immunity.
JIM.fr : Pouvez-vous nous rappeler les objectifs de vos travaux ?
Nicolas Meunier : Je travaille depuis quinze ans sur le système olfactif en utilisant le modèle rongeur et je m’intéresse aux relations entre la cavité nasale et l’immunité dans le cadre du passage d’un pathogène vers le système nerveux central. Depuis presque cent ans, même si les détails cellulaires n’étaient pas connus, il était compris qu’une infection des neurones olfactifs dans notre cavité nasale pouvait permettre à un pathogène de pénétrer dans le SNC et d’échapper à la barrière hémato-encéphalique présente autour du cerveau. Nous avons donc voulu comprendre quelles sont les défenses mises en jeu au sein de la cavité nasale en utilisant comme modèle des virus respiratoires peuvent potentiellement infecter ces neurones.
Dans le cas du SARS-CoV-2, nous avions un exemple parfait d’un virus respiratoire supposé capable d’entrer dans le SNC en passant par les neurones olfactifs. Au début de l’épidémie, c’était l’hypothèse majeure de toute la communauté scientifique. Nous avons utilisé des hamsters qui sont de bons modèles car ils présentent un profil d’expression des récepteurs du SARS-CoV-2 similaire à l’Homme. Nous avons voulu voir quels types cellulaires étaient infectés et vérifier si une infection des neurones pouvait expliquer un passage du SARS-CoV-2 de la cavité nasale vers le SNC en provoquant une anosmie comme complication. En effet, la perte d’odorat est un symptôme très fréquent chez les patients souffrant de la COVID-19.
JIM.fr : Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous vous êtes orienté plus spécifiquement vers les cellules de soutien dîtes sustentaculaires ?
Nicolas Meunier : Il a été montré très tôt que le SARS-CoV-2 avait le même système d’interaction cellulaire que le SARS-CoV-1 c’est-à-dire se lier à ACE2 (enzyme de conversion de l’angiotensine 2). Plusieurs publications ont pointé le fait qu’au niveau de l’épithélium olfactif ces protéines seraient exprimées par les cellules sustentaculaires tandis que les neurones ne l’expriment pas. Il était donc probable que ce soit ces cellules qui étaient infectées. La protéase TMPRSS2 a un rôle générique impliqué dans la maturation de différents précurseurs. Le virus utilise aussi cette protéase pour sa propre maturation. Pour qu’un tissu soit infecté, il faut donc qu’il y ait au moins ces deux acteurs : la protéase TMPRSS2 pour l’activer et ACE2, le site d’entrée dans la cellule. Les cellules sustentaculaires étaient donc les cibles les plus probables du virus.

Le rôle de ces cellules n’est pas encore bien déterminé. Elles semblent avoir notamment une fonction trophique d’apport d’énergie aux neurones. Il a été montré que les neurones étaient capables de capter le glucose sur la face externe dans la partie mucus où baignent leurs cils et les cellules sustentaculaires libérent du glucose dans le mucus. Les cellules de soutien assurent aussi l’équilibre ionique de ce mucus qui est très pauvre en chlore. Des études montrent également la fonction immunitaire de ces cellules capables de phagocyter des grosses particules pour les dégrader. Elles ont un rôle majeur de structure, des fonctions multiples et probablement d’autres encore moins connus à la différence des neurones olfactifs dont la fonction de détection les odeurs est très étudiée.

JIM.fr : Quels ont été les résultats de vos travaux ?
Nicolas Meunier : Nous avons voulu regarder concrètement sur les modèles animaux,  si lorsque nous infections ceux-ci avec le SARS-CoV-2, nous avions une infection des cellules sustentaculaires et à la suite une infection des neurones olfactifs pouvant expliquer l’anosmie observée chez l’Homme.

Dans l’épithélium olfactif du hamster, nos résultats ont montré qu’il y avait une infection très importante des cellules sustentaculaires, mais limitée à celle-ci uniquement. Nous travaillons sur de nombreux virus respiratoires et le SARS-CoV-2 est le seul à infecter massivement les cellules présentes dans la muqueuse olfactive.

JIM.fr : Vous avez également constaté que la muqueuse nasale subit une desquamation ce qui pourrait expliquer la perte d’odorat. Pouvez-vous nous expliquer ?
Nicolas Meunier : En parallèle à cette infection limitée aux cellules sustentaculaires, nous avons en effet constaté une perte complète de l’épithélium olfactif qui se désolidarise de sa lame basale par une desquamation. Nous avons recherché s’il y avait une infection des neurones olfactifs et nous n’en avons pas trouvé malgré les contacts très étroits entre les cellules sustentaculaires et les neurones.

Nous n’avons pas trouvé de virus dans le SNC

Nous avons scruté les différentes zones du SNC et nous n’y avons pas non plus trouvé de virus. Nous aurions pu imaginer qu’une fois l’épithélium olfactif desquamé, une protection moindre aurait pu permettre au virus d’infecter les cellules en sous muqueuse ou directement les nerfs pour remonter au SNC mais nous n’avons pas constaté cela du tout. Si l’infection se déroule de manière similaire (aux hamsters) chez l’Homme, il est donc très peu probable que le virus puisse pénétrer dans le SNC.
JIM.fr : Comment d’autres études récentes sont-elles parvenues à l’hypothèse selon laquelle le virus infecte les nerfs olfactifs et le SNC ?
Nicolas Meunier : La plupart de ces études restent hypothétiques. Quelques travaux sont basées sur des échantillons humains et leurs résultats semblaient indiquer que le SARS-CoV-2 infecte les neurones olfactifs permettant un passage vers le SNC . Cependant, pour l’instant ces études ne sont basées que sur une identification morphologique. Nous avons procédé à des doubles marquages en immunohistochimie permettant de montrer la colocalisation du virus dans une cellule identifiée. Pour cela nous utilisons un marqueur des cellules sustentaculaire et un autre de la présence du virus. Ne pas disposer d’outils permettant de bien caractériser les cellules de la cavité nasale peut donc conduire à des conclusions erronées. Si notre étude montre que de manière générale, ce ne sont pas les neurones olfactifs qui se retrouvent infectés, ce n’est pas à exclure dans certains cas. En effet, nous avons travaillé sur un petit nombre de jeunes femelles hamsters. Or des études récentes montrent que l’homme serait plus sensible que la femme et d’autant plus si il est âgé et en surpoids. Il faudrait donc travailler sur des vieux hamsters mâles pour étudier ces différences potentielles.  

JIM.fr : Comment expliquer le fait que certains patients présentant les formes les plus sévères de la Covid-19 aient des manifestations neurologiques ?

Nicolas Meunier : Lors d’une infection massive au niveau des poumons, la suractivation du système immunitaire provoque des tempêtes cytokiniques qui déstabilisent énormément d’organes et de tissus. Le système immunitaire, en s’emballant, provoque dans certains cas un effondrement de la barrière encéphalique qui devient perméable. C’est une issue souvent fatale pour les patients car les pathogènes entrent alors dans le SNC et des encéphalopathies peuvent conduire à un effondrement des paramètres du système respiratoire. C’est ce qui a été soupçonné chez certains patients qui décédaient à la suite d’atteintes respiratoires. Non seulement leurs poumons avaient été atteints mais aussi les centres de contrôle respiratoire dans le tronc cérébral. Et donc beaucoup de chercheurs ont fait l’hypothèse que le virus passait la barrière encéphalique en infectant les neurones olfactifs  puis allait dans le tronc cérébral pour déstabiliser le centre de contrôle respiratoire. C’est-à-dire qu’une manifestation neurologique aboutirait à une incapacité respiratoire. Dans notre modèle de hamster, nous pouvons exclure cette hypothèse car nous n’avons pas du tout retrouvé ce passage vers le SNC et nous n’avons pas retrouvé non plus le virus dans le tronc cérébral. JIM.fr : En quoi vos travaux sont-ils rassurants ? 
Nicolas Meunier : De nombreuses études suggèrent que, si un patient a une encéphalopathie avec une infection du bulbe olfactif, il présente un terrain favorable pour développer par la suite une maladie neurodégénérative notamment la maladie de Parkinson. C’est notamment décrit dans le cas de la grippe où, à l’issue de la pandémie qui a eu lieu lors de la première guerre mondiale, il y a eu beaucoup de cas de Parkinson chez les survivants dans les années qui ont suivi. Cette hypothèse épidémiologique est confortée par des études qui montrent que l’un des symptômes premiers de ces maladies neurodégénératives, Alzheimer ou Parkinson, est la perte d’odorat. Ce point est forcément inquiétant vu le nombre de personnes souffrant d’anosmie à la suite de la Covid-19. Elles auraient eu une susceptibilité par la suite de développer une maladie neurodégénérative. Nos travaux excluent fortement ce mécanisme, ce qui est rassurant.

D’autre part et de façon plus pragmatique, l’épithélium olfactif subirait une destruction massive causée par le SARS-CoV-2 mais il se régénèrerait au bout de 15 jours à 1 mois comme cela se fait habituellement. En effet, même en l’absence de tout pathogène, la muqueuse se régénère en permanence car l’environnement à l’air libre, comprenant beaucoup d’oxygène et pas d’eau, est extrêmement agressif pour les cellules. Des études récentes suggèrent en fait que l’anosmie est plutôt un critère positif de rétablissement montrant que le système immunitaire se défend très bien pour éliminer le virus. JIM.fr : Est-il possible de vérifier ces résultats chez l’Homme ?
Nicolas Meunier : Il manque effectivement les preuves définitives de ce qui se passe chez l’Homme car nous restons sur un modèle animal (très proche cependant de ce qui se passe chez l’être humain). Il faudrait une étude faite chez l’homme avec les moyens adéquats, mais cela semble extrêmement compliqué si le virus est rapidement éliminé de la cavité nasale comme c’est le cas chez le hamster ou le virus n’est plus présent 7 jours après l’infection.

La confirmation de ces résultats chez l’Homme semble difficile

Il faudrait donc pratiquer une biopsie de l’épithélium olfactif quelques jours après l’infection pour étudier ce point ce qui ne peut se faire sans connaitre la date précise de l’infection. Certains pays ont lancés des protocoles de test de l’efficacité de futurs vaccins et infectent donc des volontaires. Peut-être que des protocoles seront mis en place pour prélever une partie de leur épithélium afin de voir ce qui se passe.

JIM.fr : Certains patients infectés par le SARS-CoV-2 souffrent également d’une agueusie. Comment l’expliquez-vous ?
Nicolas Meunier : A ma connaissance, nous sommes la seule étude qui a caractérisé d’un point de vue cellulaire l’infection au niveau de la cavité nasale. Au niveau de la cavité buccale, aucune étude n’a été faite. Les hypothèses sont qu’il y aurait une infection d’autres cellules que celles qui sont responsables de la détection du goût. Au niveau de la langue, nous trouvons essentiellement des kératinocytes qui expriment le récepteur ACE2 mais pas les cellules du bourgeon du goût. On ne comprend donc pas encore ce qui se passe. L’hypothèse la plus probable est celle d’une inflammation locale qui aboutit peut-être à une mauvaise régénération des bourgeons du goût. Mais cela me laisse perplexe car cette perte du goût est à priori rapide or si c’est un problème de régénération cela se produit sur plusieurs semaines. Une autre hypothèse plus séduisante, est qu’une inflammation au niveau des kératinocytes aboutirait à un dysfonctionnement de la transmission de l’information des bourgeons du goût.
JIM.fr : En cas de virus respiratoires comme la grippe, les mécanismes d’action conduisant à l’anosmie sont-ils différents de celui du SARS-Cov-2 ?
Nicolas Meunier : Dans la littérature, cela n’est pas bien décrit. Certains virus respiratoires peuvent infecter les neurones olfactifs et c’est le cas du virus influenza (ce qui n’est donc pas le cas du SARS-CoV-2). Nous avons observé que cette infection reste localisée sur les modèles de souris et de plus seul un petit nombre de neurones est infectés si nous comparons à l’infection massive des cellules sustentaculaires provoquée par le SARS-CoV-2. Les anosmies liées à la grippe qui sont plutôt rares sont plus la conséquence d’une inflammation générale de la cavité nasale aboutissant à une obstruction des voies aériennes. L’anosmie grippale serait alors liée à l’incapacité de l’air à arriver au niveau de la muqueuse olfactive plutôt qu’à une destruction de l’épithélium. Mais cela reste une hypothèse.
JIM.fr : Quelles sont les prochaines étapes de vos recherches ?
Nicolas Meunier : Depuis le début, notre projet est de comprendre les défenses présentes au niveau de la muqueuse olfactive pour limiter potentiellement le passage des virus vers le SNC. La question qui se pose, avec le SARS-CoV-2, est d’expliquer si le mécanisme de desquamation que l’on observe fait partie d’un processus de défense mis en place par la muqueuse pour empêcher le virus de pénétrer dans le SNC ou si c’est un effet secondaire de l’infection dû à l’infiltration par des cellules immunitaires. Nos prochaines étapes vont consister à comprendre le rôle des cellules immunitaires que nous avons observées massivement autour des cellules sustentaculaires infectées par le SARS-CoV-2.

Propos recueillis par Alexandra Verbecq

Référence

Bertrand Bryche et coll. : Massive transcient damage of the olfactory epithelium associated with infection of sustentacular cells by SARS-CoV-2 in golden Syrian hamsters, Brain, Behavior, and Immunity, July, 2020. https://doi.org/10.1016/j.bbi.2020.06.032

Le cœur dans la Covid-19, souvent et longtemps atteint

Le SARS-CoV-2 a un tropisme pour le système cardiovasculaire et les études qui en attestent sont désormais nombreuses. Le myocarde est particulièrement visé, tout comme l’est l’endothélium de la paroi artérielle. L’atteinte myocardique est mise en évidence avec une grande précision par les biomarqueurs, en premier lieu la troponine cardiaque. L’imagerie peut être mise à contribution comme le montrent deux études d’observation récemment publiées, l’une dans le JAMA Cardiology (1), l’autre dans le JACC Cardiovasculaire Imaging (2).

Cent patients avec une Covid-19 parfois asymptomatique…

La première étude (1) réalisée en Allemagne a inclus 100 patients pris en charge par le CHU de Francfort entre avril et juin 2020. Tous les participants étaient atteints d’une forme plus ou moins sévère – voire parfois asymptomatique (n = 18)- de la Covid-19 biologiquement confirmée par RT-PCR. Dans 49 cas, les symptômes étaient légers ou modérés. Une IRM cardiaque a été systématiquement pratiquée. Ses résultats ont été comparés à ceux obtenus dans deux groupes témoins appariés selon l’âge et le sexe, dont 50 volontaires sains et 57 patients à haut risque d’atteinte cardiaque.
Dans le groupe des patients (hommes : 53 %), l’âge médian était de 49 ans (écart interquartile, EIQ, 45-53 ans). Le délai médian entre le diagnostic de Covid-19 et l’IRM a été de 71 jours (EIQ 64-92). Dans la majorité des cas (67 %), le suivi a été assuré au domicile du patient, les autres participants (33 %) étant hospitalisés. La ventilation invasive ne s’est imposée que dans deux cas, cependant qu’une ventilation non invasive en pression positive était pratiquée chez 17 patients. Au moment de l’IRM, les taux de hs-TnT (high-sensitivity troponin T) étaient encore détectables (> ou = 3 pg/ml) chez 71 patients et significativement élevés (> ou = 13,9 pg/ml chez cinq autres.

Une IRM anormale dans 78 % des cas

Comparativement aux témoins, les patients se sont distingués sur plusieurs points : fraction d’éjection ventriculaire gauche (VG) plus basse, volumes ventriculaires élevés, masse VG plus élevée et augmentation des temps de relaxation T1 et T2. Dans la majorité des cas (78 %), l’IRM cardiaque s’est avérée anormale en révélant : (1) une augmentation du T1 natif (n = 73) ou du T2 natif (n = 60), témoignant d’un processus lésionnel inflammatoire évolutif ; (2) prise de contraste tardive myocardique (n=32) ou péricardique (n=22).
Chez les patients de retour à leur domicile, l’IRM était légèrement moins perturbée pour ce qui est de la cartographie T1 effectuée sur les images natives, les valeurs médianes du T1 étant un peu inférieures, soit 1 122 [EIQ 1 113-1 132] versus 1 143 [1 131-1 156] ms chez les malades hospitalisés (p = 0,02), alors que les taux plasmatiques de hs-TnT étaient les mêmes dans les 2 groupes. Aucune de ces mesures n’a cependant été significativement corrélée au délai écoulé entre le diagnostic de Covid-19 et l’IRM, pas plus qu’aux comorbidités préexistantes. Aucune relation n’a en outre reposé sur la sévérité initiale et l’évolution globale de l’infection aiguë.

En revanche, une corrélation significative a été établie entre les taux de hs-TnT et les valeurs cartographiques du T1 natif (r = 0,35; p < 0,001) et il en a été de même pour le T2 natif (r = 0,22; p = 0,03). La biopsie myocardique réalisée dans les cas les plus sévères (n=3) n’a révélé qu’une inflammation lymphocytaire évolutive.

Des anomalies cardiaques deux mois après une forme sévère

La seconde étude en provenance de Wuhan (Chine) porte sur un effectif plus restreint (n = 26) et corrobore en partie les résultats de la précédente. L’IRM cardiaque a en effet objectivé des anomalies à distance de l’épisode aigu chez 58 % des patients dans un état plus critique- présentant des symptômes cardiaques- à type d’œdème myocardique (54 %) ou de prise tardive du produit de contraste (31 %). Chez ces derniers, un dysfonctionnement systolique ventriculaire droit (VD) a par ailleurs été mis en évidence, la FEVD étant abaissée tout comme le volume d’éjection systolique indexé. Par rapport à un groupe témoin, tous les index dérivés de la cartographie T1 et T2, de même que le volume extracellulaire myocardique se sont avérés pathologiques en l’occurrence augmentés (p < ou = 0,002 selon l’index).

Dans les deux mois qui suivent le diagnostic de Covid-19, l’IRM cardiaque révèle des anomalies significatives chez 58 % à 78 % des patients. Il faut souligner que, dans la première étude, la plupart des formes cliniques de la Covid-19 étaient peu ou pas symptomatiques (67/100), à la différence de la seconde. De fait, une atteinte myocardique infraclinique apparaît vraisemblable au cours de l’infection virale et quelque peu durable même dans les formes peu sévères, ce qu’il reste toutefois à confirmer sur une plus grande échelle. Sa signification pronostique doit être précisée grâce à des études prospectives à long terme qui font actuellement défaut et pour cause.

Article du Dr Philippe Tellier, publié sur JIM.fr le 26/08/2020

Références

Puntmann VO et coll. : Outcomes of Cardiovascular Magnetic Resonance Imaging in Patients Recently Recovered From Coronavirus Disease 2019 (COVID-19). JAMA Cardiol., 2020 ; : publication avancée en ligne le 27 juillet. DOI: 10.1001/jamacardio.2020.3557.
Huang H et coll. : Cardiac Involvement in Patients Recovered From a COVID-2019 Identified Using Magnetic Resonance Imaging. JACC Cardiovasc Imaging 2020 : publication avancée en ligne le 12 mai. S1936-878X(20)30403-4. doi: 10.1016/j.jc