De grandes études épidémiologiques conduites après la seconde guerre mondiale, notamment aux Etats-Unis et au Royaume Uni, ont permis d’établir l’implication du tabac dans 21 causes de décès (12 types de cancer, 6 catégories de maladies cardiovasculaires [MCV], le diabète, la broncho-pneumopathie chronique obstructive [BPCO] et les pneumonies).
Cependant les travaux les plus récents menés sur des populations très larges, comme la Million Women Study au Royaume Uni laissent penser que ces 21 pathologies ne peuvent expliquer à elles seules la totalité de la surmortalité observée chez les fumeurs (estimée à 480 000 par an aux Etats-Unis par le Surgeon General).
Pour mettre en évidence des causes plus rares de mortalité ayant éventuellement un lien moins étroit avec le tabagisme, il est indispensable de disposer de données portant sur des cohortes encore plus importantes suivies sur une longue durée.
Près d’un million de sujets de plus de 55 ans suivis 11 ans

C’est pourquoi sous l’égide de l’American Cancer Society, un groupe multidisciplinaire américain a entrepris de regrouper les résultats de 5 études de cohortes américaines conduites entre 2000 et 2011 sur une population totale de 421 378 hommes et 532 651 femmes de plus de 55 ans.
Durant ces 11 années de surveillance, 181 377 décès ont été enregistrés dont 16 475 parmi des fumeurs « actuels » ; 17 % de la surmortalité constatée chez les fumeurs ne pouvaient être attribués aux 22 pathologies dont le lien avec le tabac est connu. En comparant la mortalité par diverses autres affections chez les fumeurs et les non fumeurs, les chercheurs ont pu déterminer pour chaque pathologie étudiée un risque relatif de décès chez les fumeurs (ajusté par l’âge, l’ethnie, le niveau d’éducation, la consommation d’alcool, et la cohorte dont les données étaient issues).
Une mortalité par cirrhose semblant multipliée par 3 chez les fumeurs
Il a été ainsi possible de déterminer que le risque relatif de décès chez les fumeurs (comparé à celui des sujets n’ayant jamais fumé) était significativement accru pour les pathologies suivantes (l’intervalle de confiance à 95 % étant donné entre parenthèse) :
– Ischémie intestinale : 6 (4,5-8,1)
– Cirrhose hépatique : 3,1 (2,6-3,7)
– Cardiopathie hypertensive : 2,4 (1,9-3)
– Infections de tous sites : 2,3 (2-2,7)
– Insuffisance rénale : 2 (1,7-2,3)
– Maladies respiratoires hors cancers et BPCO: 2 (1,6-2,4)
– Cancer de la prostate : 1,4 (1,2-1,7)
– Cancer du sein chez la femme : 1,3 (1,2-1,5).
En outre les mortalités liées à des maladies rares (dont des cancers), aux autres maladies digestives, à l’hypertension essentielle et à la néphropathie hypertensive sont apparues significativement supérieure chez les fumeurs.
Pour certaines de ces pathologies, une relation effet-dose entre le nombre de cigarettes fumées et la surmortalité a pu être mise en évidence (infections, cancer du sein et insuffisance rénale). De plus chez les anciens fumeurs tous ces risques diminuaient avec la durée de l’abstinence (à l’exception de celui de décès par cirrhose).
Au total ces diverses « nouvelles » causes de décès semblent pouvoir expliquer l’essentiel des 17 % de surmortalité observée chez les fumeurs n’étant pas en relation avec les 21 pathologies dont le lien avec le tabac était déjà avéré (16,9 % chez les femmes et 15,3 % chez les hommes).
A la recherche des facteurs de confusion
Ce type de travail observationnel est bien sûr insuffisant pour affirmer de façon certaine un lien causal entre le tabagisme et la surmortalité liée aux diverses « nouvelles » pathologies étudiées car le tabagisme n’était évalué que par l’interrogatoire et que des facteurs de confusion étaient possibles dans de nombreux cas (alcool, alimentation, activité physique, accès aux soins…). Il en est ainsi par exemple du lien entre décès par cirrhose hépatique et tabagisme mis en évidence dans cette étude pour lequel l’influence de la consommation d’alcool (souvent associée) a pu ne pas être parfaitement prise en compte malgré les ajustements de même que celle d’éventuelles associations avec des infections par les virus des hépatites B et C qui pourraient également être plus fréquentes chez les fumeurs pour des raisons comportementales. De même pour le cancer du sein pour lequel le risque de décès parait augmenté de 30 % selon ce travail, on peut imaginer, à côté d’une éventuelle action directe sur la carcinogénèse, le rôle d’attitudes différentes vis-à-vis du dépistage entre fumeuses et non fumeuses ou de niveaux de revenus plus faibles chez les fumeuses.
Il faut peut-être aussi rappeler que certains risques relatifs retrouvés dans cette étude peuvent être considérés comme très « modestes » comparés à ceux d’autres affections dont le lien avec le tabac est établi de longue date. Ainsi le risque de cancer du poumon est multiplié par 25,3 chez les fumeurs alors qu’il ne le serait que par 1,3 pour le cancer du sein !
Pour aller plus loin d’autres études épidémiologiques plus fines sont donc nécessaires.
Il n’en reste pas moins que, selon les auteurs, pour certaines de ces associations, l’existence d’une relation dose-effet et la plausibilité biologique rendent vraisemblable une relation causale avec le tabac (directe ou indirecte). Il s’agit des infections, des cardiopathies hypertensives, des insuffisances rénales, des ischémies intestinales et des autres affections respiratoires.
Au total si l’on tenait compte sans réserve des données de ce travail, 60 000 décès supplémentaires pourraient être attribués chaque année au tabac aux Etats-Unis.
Jim.fr article du Dr Céline Dupin