Dans de nombreux pays à faible incidence de tuberculose (TB), les nouveaux cas sont souvent le fait d’une réactivation d’infection tuberculeuse latente (LTBI). Ils surviennent après contact avec un tuberculeux actif, chez un sujet immuno-déprimé ou chez un migrant venant d’une zone d’endémie à forte incidence. Les traitements actuels de la LTBI sont efficaces, en règle bien tolérés mais souvent longs. Le plus utilisé aux USA est une monothérapie par isoniazide (INH) durant 9 mois. D’autres options thérapeutiques sont possibles telles que l’association INH-rifampicine (RMP) durant 3 mois, monothérapie par RMP durant 3 ou 4 mois, qui paraissent au moins aussi efficaces que les protocoles à base d’INH seule. L’association INH- rifapentine (RPT) est également active et s’inscrit dans les recommandations émises par les Centers for Diseases Control and Prevention (CDC).
Une autre forme de méta-analyse
A ce jour, les traitements des LTBI ont fait l’objet de plusieurs méta-analyses conventionnelles dont les conclusions ont été limitées du fait que des comparaisons directes étaient seules possibles. H R Stagg et collaborateurs ont, pour leur part, eu recours à une méta-analyse en réseau, selon une modélisation bayésienne hiérarchique autorisant des comparaisons indirectes des différents protocoles portant sur leur efficacité relative et leur profil d’effets secondaires. Les éléments d’enquête ont été recueillis à partir des principales bases de données informatisées (PubMed, EMBASE, Web of Science) depuis leur création jusqu’au 29 janvier 2014, d’abstracts de conférences internationales et de recommandations émanant de sociétés savantes, sans restriction à la seule langue anglaise. Pour être retenus, les essais cliniques devaient avoir été contrôlés et randomisés, réalisés chez l’homme et avoir comme critère principal le degré de prévention d’une TB active et/ou l’hépatotoxicité iatrogène. Deux investigateurs indépendants ont recueilli les données selon un protocole standardisé : principales caractéristiques des participants (y compris leur statut immunitaire et VIH), pays d’origine, année de réalisation de l’essai, nature du traitement des LTBI (posologie, durée, adhérence), durée du suivi, pourcentage de sujets développant une TB active et effets secondaires graves survenus en cours d’étude. Deux autres lecteurs indépendants ont apprécié la qualité des publications et le risque de biais. Afin d’autoriser les comparaisons, les différents protocoles thérapeutiques ont été distingués en 6 types : traitements à base de RMP, monothérapie par INH durant 3 à 4 mois, traitement par INH de longue durée (9, 12 mois, voire davantage), association RMP-INH durant 3 à 4 mois, association RMP-pyrazinamide (PZA), autres traitements. Il a été procédé à une stratification en fonction de l’âge des participants, d’une immunosuppression éventuelle et de l’incidence des TB actives dans la zone géographique considérée. La prise en complément de pyridoxine a été notée. Enfin, les irrégularités et les risques importants de biais de publication inhérents à ce type de méta-analyse ont été pris en compte.
Sur 1 516 articles identifiés, seules 53 études, qui remplissaient les critères pré-établis, ont été retenues. Vingt-cinq sur 53 apportaient des précisions sur l’hépatotoxicité potentielle ; 45 renseignaient sur le risque de progression vers une TB active. La plupart avaient été conduites en Europe, au Canada ou aux USA. Cinq concernaient plus particulièrement des enfants et 25 incluaient dans leur collectif des sujets immunodéprimés. Toutes comprenaient au moins un régime à base d’INH, 23 avec la RMP, 3 avec de la RPT. Huit d’entre elles, souvent très anciennes comportaient un groupe témoin sans traitement actif. Un total de 105 comparaisons entre les différents protocoles a été possible mais seules 42 (40 %) ont pu faire l’objet de comparaisons directes.
Protocoles les plus efficaces : RMP seule ou RMP + INH pendant 3 à 4 mois
L’analyse de l’efficacité relative pour la prévention d’une TB a été effectuée à partir de 15 protocoles différents. Comparativement à un placebo, 6 mois de monothérapie par INH entraînent un risque relatif (Odd Ratio, OR) de 0,64 (pour un intervalle de crédibilité, CrI, compris entre 0,48 et 0,83). Une monothérapie de 12 mois d’INH abaisse l’OR à 0,52 (CrI: 0,41- 0,66). L’OR est moindre dans le cadre d’une monothérapie par RMP de 3 à 4 mois : 0,41 (CrI : 0,18- 0,80) ou lors d’une association RMP-INH durant 3- 4 mois : OR à 0,52 (CrI: 0,34- 0,79). Il est également amélioré dans les régimes à base de PZA. Ni une stratification basée sur le degré d’immunosuppression, ni celle sur le statut VIH, ni enfin celle fonction de l’incidence des TB actives ne modifient les résultats globaux. Ainsi apparaît-il que les protocoles à base de RMP seule ou bithérapie RMP-INH durant 3 à 4 mois sont les plus efficaces.
Les données concernant l’hépatotoxicité potentielle des divers protocoles ont été plus limitées, n’autorisant que des comparaisons directes. Il a été établi que les monothérapies de RMP ou les associations RPT-INH entraînaient moins d’hépatopathies toxiques que les protocoles à base d’INH administrée pendant 6 à 9 mois, voire de façon plus prolongée (9, 12, voire 72 mois…). Il a été aussi retrouvé une hépatotoxicité notable en cas de régimes thérapeutiques comprenant du PZA. Cinq décès iatrogènes ont été à déplorer, liés à une hépatite toxique. Ils émanaient d’un seul essai, après traitement de longue durée par INH.
Dans la littérature médicale sont disponibles plusieurs revues systématiques ou méta-analyses traitant de la prise en charge des LTBI mais l’étude de H R Stagg et collaborateurs est, a priori, la première à utiliser une méthode de comparaison statistique bayésienne autorisant des comparaisons indirectes, impossibles par ailleurs. Jusqu’à ce jour, les recommandations étaient centrées sur une monothérapie plus ou moins prolongée par INH. Ainsi, la World Health Organisation recommandait-t-elle 6 mois minimum de traitement et les CDC une prise d’INH allant de 6 à 9 mois, sur la base d’un compromis entre efficacité et toxicité. Récemment, une monothérapie par RMP de 3 à 4 mois a fait la preuve d’une efficacité au moins équivalente, avec un taux plus élevé d’adhésion et de poursuite du traitement jusqu’à son terme. Les protocoles à base de PZA sont apparus également efficaces mais au prix d’une toxicité inacceptable. Sur la base d’essais de non infériorité, les CDC, en 2013, ont recommandé une combinaison hebdomadaire d’INH-RPT pendant 12 semaines, du fait de la durée de vie très longue de la RPT. A ce jour, c’est l’association INH-rifabutine qui semble, toutefois, la plus prometteuse, avec un profil de toxicité satisfaisant.
Il faut malgré tout, se rappeler que les méthodes bayesiennes employées dans cette méta analyse en réseau soulèvent de nombreuses réserves. Le risque de biais dans les articles retenus a, notamment, souvent été mal apprécié et le degré de preuves concernant l’hépato toxicité faible.
En conclusion, dans le traitement des LTBI, les protocoles comportant la rifampicine semblent aussi efficaces, si ce n’est plus, que des monothérapies par INH. Ils pourraient, après prise en compte des contre indications éventuelles et des coûts induits, être une alternative préférentielle pour les cliniciens et les décisionnaires en matière de politique de santé.
D’après Jim.fr , commenté par le Dr Pierre Margent Références: Stagg HR et coll. : Treatment of Latent Tuberculosis Infection. A Network Meta-Analysis. Ann Intern Med, 2014; 161: 419- 428.