Introduction
Les débats sur les politiques de santé doivent s’appuyer sur des informations fiables et actualisées concernant les principales causes de mortalité dans les populations et leur évolution. Dans l’étude GBD 2010 (Global Burden of Diseases, Injuries, and Risk Factors Study 2010, étude de 2010 sur la charge mondiale des maladies, blessures et facteurs de risque), l’objectif était d’estimer le nombre de décès annuel dans le monde et dans 21 régions entre 1980 et 2010, dus à 235 causes, avec les intervalles d’incertitude (II) correspondants et une distinction en fonction de l’âge et et du sexe.
Méthodes
Nous avons tenté d’identifier toutes les données disponibles sur les causes de décès pour 187 pays de 1980 à 2010 à partir des registres d’état civil, des comptes rendus verbaux d’autopsie, de la surveillance de la mortalité, des recensements, des enquêtes, des dossiers d’hôpitaux, des rapports de police et des morgues. Nous avons évalué la qualité des données en matière de complétude, d’exactitude diagnostique, d’omission de données, de variations stochastiques, et de causes probables de décès. Nous avons appliqué six stratégies de modélisation différentes pour estimer les tendances de mortalité spécifiques à la cause, en fonction de la puissance des données. Pour 133 causes et trois agrégats particuliers, nous avons utilisé l’approche CODEm (Cause of Death Ensemble model, modèle de l’ensemble relatif à la cause du décès), qui utilise quatre familles de modèles statistiques testant une série importante de différents modèles à l’aide de diverses permutations de covariables. Les ensembles de modèles ont été mis au point à partir de ces modèles élémentaires. Nous avons évalué les performances des modèles par des tests rigoureux hors échantillon de l’erreur prédictive et la validité des II à 95 %. Pour 13 causes associées à un faible nombre de décès observés, nous avons mis au point des modèles binomiaux négatifs avec des covariables plausibles. Pour 27 causes associées à des décès rares, nous avons modélisé la cause de plus haut niveau dans la hiérarchie des causes énoncée dans le GBD 2010, puis avons affecté les décès proportionnellement aux causes élémentaires, d’après les estimations fondées sur les informations disponibles dans la base de données. Pour certaines causes sélectionnées (trypanosomiase africaine, syphilis congénitale, coqueluche, rougeole, fièvres typhoïde et parathyroïde, leishmaniose, hépatite E aiguë et infection à VIH/SIDA), nous avons utilisé des modèles d’histoire naturelle reposant sur les informations relatives à l’incidence, la prévalence et le taux de létalité. Nous avons estimé séparément les fractions causales en fonction de l’étiologie pour la diarrhée, les infections respiratoires basses, et la méningite, ainsi que les désagrégations par sous-cause en ce qui concerne la maladie rénale chronique, les troubles maternels, la cirrhose et le cancer du foie. Concernant les décès dus à des violences collectives et des désastres naturels, nous avons utilisé des régressions de chocs de mortalité. Pour chaque cause, nous avons estimé les II à 95 % ayant saisi à la fois l’incertitude relative aux estimations de paramètres et l’incertitude due à la spécification des modèles lorsque l’approche CODEm était utilisée. Nous avons limité les fractions spécifiques à la cause au sein de chaque groupe d’âge-sexe, qui ont été totalisées pour parvenir à la mortalité globale reposant sur les tirages dans les distributions d’incertitudes.
Résultats
En 2010, on a recensé 52·8 millions de décès dans le monde. Au niveau agrégé le plus élevé, les causes transmissibles, maternelles, néonatales et nutritionnelles représentaient 24·9 % des décès dans le monde en 2010, c’est-à-dire un chiffre inférieur aux 15·9 millions (34·1 %) de décès dus à ces causes sur 46·5 millions en 1990. Cette diminution a été largement due aux diminutions de la mortalité liée aux pathologies diarrhéiques (de 2·5 à 1·4 millions), aux infections respiratoires basses (de 3·4 à 2·8 millions), aux troubles néonataux (de 3·1 à 2·2 millions), à la rougeole (de 0·63 à 0·13 million), et au tétanos (de 0·27 à 0·06 millions). Les décès liés à une infection à VIH/SIDA ont augmenté de 0·30 million en 1990 à 1·5 million en 2010, pour atteindre un maximum de 1·7 million en 2006. Selon les estimations, la mortalité liée au paludisme a également augmenté de 19·9 % depuis 1990 à 1·17 million de décès en 2010. La tuberculose a tué 1·2 million de personnes en 2010. Les décès liés à des maladies non transmissibles ont augmenté d’un peu moins de 8 millions entre 1990 et 2010, et représentent deux décès sur trois (34·5 millions) dans le monde en 2010. Au total, 8 millions de personnes sont décédées de cancer en 2010, c’est-à-dire 38 % de plus qu’il y a vingt ans ; parmi ces décès, 1·5 million (19 %) étaient liés à des cancers de la trachée, des bronches et des poumons. Les cardiopathies ischémiques et les accidents vasculaires cérébraux ont été collectivement responsables de 12·9 millions de décès en 2010, c’est-à-dire un décès sur quatre dans le monde, comparativement à un décès sur cinq en 1990 ; 1·3 million de décès ont été dus au diabète, soit deux fois plus qu’en 1990. La fraction des décès mondiaux dus à des blessures (5·1 millions de décès) a été marginalement supérieure en 2010 (9·6 %) comparativement à deux décennies auparavant (8·8 %). Cette élévation était liée à l’augmentation de 46 % des décès dans le monde dus à des accidents de la circulation (1·3 million en 2010) et l’augmentation des décès liés à des chutes. Les cardiopathies ischémiques, les accidents vasculaires cérébraux, la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), les infections respiratoires basses, le cancer du poumon et l’infection à VIH/SIDA ont été les principales causes de mortalité en 2010. Les cardiopathies ischémiques, les infections respiratoires basses, les accidents vasculaires cérébraux, les pathologies diarrhéiques, le paludisme, et l’infection à VIH/SIDA ont été les principales causes d’années de vie perdues en raison d’une mortalité prématurée (AVP) en 2010, ce qui était similaire aux estimations de 1990, sauf en ce qui concerne l’infection à VIH/SIDA et les complications de la prématurité. Les AVP dues à des infections respiratoires basses et des pathologies diarrhéiques ont diminué de 45—54 % depuis 1990, alors que les AVP dues à des cardiopathies ischémiques et des accidents vasculaires cérébraux ont augmenté de 17—28%. Les variations régionales des principales causes de décès ont été importantes. Les causes transmissibles, maternelles, néonatales et nutritionnelles représentaient toujours 76 % de la mortalité prématurée en Afrique sub-saharienne en 2010. Les taux de mortalité normalisés par rapport à l’âge, liés à certaines pathologies majeures ont augmenté (infection à VIH/SIDA, maladie d’Alzheimer, diabète et maladie rénale chronique en particulier), mais pour la plupart des maladies, les taux de mortalité ont diminué au cours des vingt dernières années, notamment les taux liés aux maladies vasculaires majeures, à la BPCO, à la plupart des formes de cancer, à la cirrhose du foie et aux maladies maternelles. Concernant les autres pathologies, notamment le paludisme, le cancer de la prostate et les blessures, on a observé peu de changement.
Interprétation
L’association de la croissance de la population, de l’augmentation de l’âge moyen de la population mondiale et de la diminution importante des taux de mortalité spécifiques à l’âge, au sexe et à la cause aboutit à une transition générale des causes transmissibles, maternelles, néonatales et nutritionnelles vers des maladies non transmissibles. Néanmoins, les causes transmissibles, maternelles, néonatales et nutritionnelles restent les principales responsables des AVP en Afrique sub-saharienne. Outre ce profil général de transition épidémiologique, de nombreuses causes présentent des variations régionales marquées, notamment les violences interpersonnelles, les suicides, le cancer du foie, le diabète, la cirrhose, la maladie de Chagas, la trypanosomiase africaine, le mélanome et d’autres maladies. L’hétérogénéité régionale souligne l’importance de réaliser régulièrement des évaluations épidémiologiques saines des causes de mortalité